de Juan José Saer

Éditions du Seuil Août 2007

Juan José Saer est né en Argentine en 1937 et est mort à Paris en 2005.
Il a écrit plusieurs recueils de poésies et de nouvelles, des essais et des romans, parmi lesquels « Cicatrices » en 1976, « Nadie Nada Nunca » en1982, « L'ancêtre » en 1987,
« La grande fugue » qui fait l'objet de ma chronique, représente l'apothéose de l'œuvre de Juan José Saer. C'est son dernier livre : 474 pages à déguster. Le livre est construit sur sept journées, pendant lesquelles des personnages vont se rencontrer, échanger .....
L'histoire commence un mardi. Il manque le dernier jour, le lundi, chapitre qui ne comporte qu'une seule phrase « météorologique », puis feuille blanche, comme si c'était au lecteur à imaginer la suite, sauf que cet effet là n'a pas été recherché, seule la « Faucheuse » en a décidé.
Juan_Jose_Saer.jpg Dans « La grande fugue », tout tourne autour de Guttierez, qui trente ans plus tôt habitait là, à Santa Fé, Argentine. Un jour, Guttierez a disparu. Personne ne savait où il avait pu aller, ami(e)s, famille..... ignoraient tout de lui. Et puis le voilà, âgé de la cinquantaine, revenu au pays, arpentant les lieux comme si il n'était jamais parti, et tout nouveau propriétaire d'une des plus belles propriétés du coin.
Il fait la connaissance de Nula, la trentaine, avec qui il a de longs échanges sur des tas de sujets. Nula a fait des études philosophiques, et puis est devenu représentant en vins et spiritueux. C'est en tentant de s'en faire un nouveau client, que Nula est devenu son interlocuteur préféré, son fils spirituel.
C'est ainsi que le premier chapitre nous fait suivre les deux hommes lors d'une longue déambulation le long du fleuve Paranà, alors que l'orage menace, que Guttierez est bien équipé pour faire face à une éventuelle grosse pluie, mais que Nula s'inquiète beaucoup pour lui-même, étant dans une tenue de ville claire, et avec des chaussures de couleur claire et fragiles .... tout en échangeant beaucoup.
Dès les premières pages, on peut découvrir le style, la façon de raconter, cette forme toute particulière de narration qui fait que le lecteur se sent existé. Il nous rend conscient de nous-même, et du monde qui nous entoure, tout en faisant vivre de façon autonome et réaliste ses personnages.
C'est comme si le lecteur côtoyait Guttierez, Nula et les autres......
Au hasard des rencontres provoquées tout au long de la semaine, Lucia, la fille de Guttierez, que Nula avait eu l'occasion de voir dans de toutes autres circonstances, Gabriela et Soldi, qui font des recherches sur un mouvement littéraire provincial des années cinquante, « le précisionnisme », Tomatis, le double de Saer, et quelques autres, se bâtit peu à peu le projet d'organiser un asado, un barbecue, où tous (dont certains se connaissent et d'autres pas) vont se retrouver le dimanche, chez Guttierrez, apothéose du roman.

La musicalité de ce roman, dans le fond comme dans la forme, nous ramène, de par la volonté de l'auteur, dans sa tonalité globale, à la « Grande Fugue » de Beethoven, qui a donné le titre au livre, œuvre visionnaire dans ses dimensions et sa puissance, et considérée comme le couronnement de l'œuvre pour quatuor de Beethoven, à l'image du roman posthume de Saer.
Le roman « La grande fugue » semble contenir à lui seul, outre tous les personnages de tous ses romans, toutes les idées de Saer, sa philosophie, son sens de la vie, sa conception du roman, dont le contenu est à la fois et de façon paradoxale, très ascétique et foisonnant. L'écriture est limpide.
Art de la conversation, amitié, complicité, évènements historiques évoqués, perception du monde, bilan d'une vie pour Guttierez, découverte gourmande de la vie pour Nula, le tout nous restitue un monde, celui de Santa Fé, Argentine, à plusieurs périodes, dans plusieurs contextes politique, philosophique, économique, sociétal, et nous renvoie, malgré ses particularismes, à nous même, à notre vécue, rappelant en cela d'autres grands auteurs comme Proust, Faulkner, Enrique Vila-Matas, Musil, Pascal Mercier.
C'est pour moi une des découvertes majeures de ses dernières années.