de Annie Ernaux

Éditions Gallimard Mars 2016




Annie Ernaux a passé son enfance et sa jeunesse à Yvetot, en Normandie. Née dans un milieu social modeste, de parents d’abord ouvriers, puis petits commerçants qui possédaient un café épicerie, Annie Ernaux fait ses études à l’université de Rouen puis de Bordeaux. Elle devient successivement professeure certifiée, puis agrégée de lettres modernes. Au début des années 1970, elle enseigne au lycée de Bonneville 2, au collège d’Évire à Annecy le Vieux, puis à Pontoise, avant d'intégrer le CNED.
Annie_Ernaux.jpg Annie Ernaux fait son entrée en littérature en 1974 avec Les armoires vides, un roman autobiographique. En 1984, elle obtient le prix Renaudot, pour un de ses ouvrages à caractère autobiographique, La Place. Elle a également écrit Une femme en 1988, Passion simple en 1991, La Honte en 1997, Les Années en 2008 …. a publié des études, des essais …

« Mémoire de fille » est son dernier livre.
Elle (l'auteur) n'a pas encore dix-huit ans, n'a aucune expérience de la vie.
Elle sort d'un pensionnat catholique, brillante élève et enfant unique et choyée par des parents commerçants aimants.
L'été 58, après le bac, elle décide de partir comme monitrice dans une colonie de vacances.
Elle ne connaît rien à la vie, est dans l'attente de l'inconnu et du monde laïc qu'elle n'a pas eu l'occasion de côtoyer

Dès le début de la colonie, le premier samedi soir, une fête pour les moniteurs est organisée. Elle y va, lunettes enlevées et cheveux décoiffés.
Elle est invitée dès la première danse, un rock, par le moniteur-chef « H », « baraqué, grand, blond, un peu ventru » et qui lui en impose.
Elle se laisse subjuguée par sa présence, son autorité, son rôle de « supérieur hiérarchique ».
Elle dit oui à tout, à la danse, à un premier baiser dans le noir, à sortir dans la nuit, à aller dans sa chambre, à se retrouver nue dans son lit avec lui … il est son professeur, son éducateur, son mentor … Elle est devenue son objet. Lui, il n'a qu'une idée, sa satisfaction personnelle. Il n'a cure de ce qu'elle peut éprouver, espérer.
Au bout d'un moment, il se lève, se lave, s'en va. Et puis, les jours suivants, il l'ignore.
La descente aux enfers commence pour elle. Elle devient une « fille de chiffon ». Tout lui est égal. Elle se laisse amener les jours suivants par les autres moniteurs qui n'ont qu'une intention, c'est se moquer d'elle, s'en amuser. Elle se laisse faire, son besoin de lui, de le laisser maître de son corps, la rend étrangère à tout sentiment de dignité.
Lui, « H », trouve une autre monitrice plus libérée. Elle, elle continue à être dans l'affolement de la perte, dans l'abandon. Elle le retrouvera une fois, mais pour mieux le perdre ensuite.
Cette descente aux enfers aboutira à la déglinguer physiquement et psychologiquement pendant les deux années qui vont suivre. « Depuis « H », il lui faut un corps d'homme contre elle, des mains, un sexe dressé. L'érection consolatrice. »
Le retrouver un jour est devenu une de ses raisons de vivre. Il reviendra et elle saura l'éblouir par son physique et par sa réussite. Peu à peu elle réalise sa folie, elle n'a plus jamais envie de le revoir, veut oublier, ne plus jamais en parler à personne.
A mesure que le temps passe, elle se rend compte qu'en travaillant à sa propre valeur (pour l'éblouir), elle s'est dans les faits éloignée inexorablement de lui.
Mais l'histoire reste en elle, une chanson, un film ou un livre la ramène à son douloureux passé.
Jusqu'au jour où elle décide, plus de cinquante ans après, d'écrire sur cet été 58.
« Évoquer ses souvenirs,les mettre sur le papier, voilà, c'est cela qui va lui permettre de prendre le vrai recul, sur cet événement fondateur qui a marqué à jamais sa personnalité, qui a fait ce qu'elle est devenue »

« J'ai commencé à faire de moi un être littéraire , quelqu'un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour »
« Ce récit est celui d'une traversée périlleuse, jusqu'au port de l'écriture. »
« Ce qui compte, ce n'est pas ce qui est arrivé, c'est ce qu'on fait de ce qui est arrivé ».
« Explorer le gouffre entre l'effarante réalité de ce qui arrive, au moment où ça arrive et l'étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé ».

Ce livre est une sorte de thérapie qui soigne, panse, et ouvre vers l'oubli.
C'est une sorte de testament, de dernier livre, qui fait suite à tous ses autres (qui en découlent) mais qui dans les faits est chronologiquement son premier.
Pour mieux se distancier de son sujet, Annie Ernaux utilise le « elle » du passé en opposition au « je » du présent, et évoque les événements politiques de l'époque avec l’œil d'aujourd'hui.
C'est un livre riche d'une multitude de thèmes (la condition de la femme d'alors, la lecture du « deuxième sexe » de Simone de Beauvoir, le décalage social d'elle par rapport aux personnes fréquentées en prépa, puis à l’École Normale, puis à l'Université, l'intime et le social), écrit dans une belle langue sans fioriture, véritable scalpel de l'âme qui va à l'essentiel.
En un mot, un livre âpre et magnifique, une vraie libération pour son auteur.